L’Earthscraper verra-t-il le jour ?

L’Earthscraper verra-t-il le jour ?

« Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. » C’est sans doute à partir de cette maxime que de nombreux architectes en sont venus à changer leur paradigme concernant les immeubles de très grande hauteur. Au lieu de voir haut, ces nouveaux bâtisseurs voient profond.

En effet, l’attrait pour l’espace souterrain va grandissant, en particulier dans les villes où les terrains se font rares et où la construction en hauteur devient de plus en plus difficile. Et tandis que le transport souterrain fait partie de la vie de millions de citadins partout dans le monde, l’innovation est poussée à son retranchement pour découvrir de nouveaux usages de ces espaces souterrains. Le défi pour les ingénieurs sera de développer des techniques pour construire ces espaces et en faire des lieux propices à vivre.

premiers étages de l'Earthscraper

Pourquoi prospecter les profondeurs ?

Il existe plusieurs raisons de s’intéresser aux milieux souterrains. La première d’entre elles, la plus évidente, est le manque d’espace. Dans les villes bondées où les gratte-ciels sont légion comme New York ou Londres, ou dans les villes chaotiques à croissance rapide d’Inde ou d’Asie de l’Est, il n’y a tout simplement plus de place sur la surface. Il y a en effet des limites à utiliser une petite empreinte au sol pour bâtir en hauteur des gratte-ciels – une méthode d’optimisation de l’espace développée depuis les années 1920.

De plus en plus de villes sont réticentes à accroître le nombre de ces immeubles démesurés, même dans les régions du Moyen Orient ou de l’est asiatique où les permis de construire en hauteur étaient pourtant facilement accordés. La technique a ses limites et on ne peut bâtir toujours plus haut. Exploiter l’espace souterrain serait alors un moyen de contourner ce problème : s’étendre horizontalement plutôt que verticalement, s’étendre en largeur plutôt qu’en profondeur.

Un autre facteur qui pousse à explorer les milieux souterrains est le caractère inhospitalier de l’environnement. Au Canada, dans les Etats du Nord des Etats-Unis, en Scandinavie ou en Europe de l’Est, les hivers sont douloureusement froids : un environnement stable, isolé par de la terre et de la roche, serait une perspective attirante. Il en est de même pour les lieux proches de l’Equateur où des espaces souterrains offriraient un espace non-saturé d’humidité. De même également pour les habitants des villes industrialisées en prise avec des problèmes de qualité de l’air – Mexico, Dehli, Shanghai… – qui pourraient trouver refuge dans ces espaces souterrains qui garantiraient un air sain.

Pour certains usages, le sous-sol pourrait s’avérer être le meilleur des environnements. Pour Antonia Comaro, la vice-présidente de l’ITACUS (Association internationale des tunnels et de l’espace souterrain), les musées et les galeries en sont un bon exemple. « Les architectes et les ingénieurs dépensent des efforts excessifs en temps et en argent à concevoir de magnifiques bâtiments. » (Lire notre article sur la Fondation Louis Vuitton où 1 500 000 heures d’études ont été nécessaires pour sa conception). Antonia Comaro poursuit : « Mais ils doivent ensuite fournir encore plus d’efforts et d’argent pour concevoir des moyens de protéger ces inestimables œuvres d’art des rayons du soleil et autres agressions de l’environnement. Le Musée du Louvre a ainsi eu l’idée de placer son hall d’entrée en sous-sol. Mais peut-être toute l’institution aurait dû être placée sous terre, afin de protéger les œuvres d’art des rayons du soleil et obtenir un environnement très stable. »

Ce sont toutes ces raisons qui sous-tendent la construction de l’Earthscraper, un vaste édifice souterrain imaginé par le cabinet d’architecture BNKR Arquitectura. L’Earthscraper, que nous pourrions appeler « gratte-terre » par opposition au skyscraper (gratte-ciel), est destiné à être enfoui dans le centre historique de Mexico. Cette pyramide inversée de 65 étages abriterait un musée sur les 10 premiers étages souterrains.

profil de l'Earthscraper

Vivre sous terre, bientôt une réalité avec l’Earthscraper ?

Au départ, le projet était destiné à un concours d’architecture. Mais le succès fut tel que la ville de Mexico en a fait sien, et imagine édifier cette construction hors du commun sous la Place de la Constitution (aussi appelée Zocalo), l’une des plus grandes places du monde. Zocalo, cette place bordée par la cathédrale de la ville, le Palais National et des bâtiments gouvernementaux, forme un carré de 240m de côté, soit 57.600m².

Mexico a la particularité d’être construite sous les vestiges d’anciennes civilisations Aztèques. Ses sous-sols regorgent donc de trésors archéologiques. Et c’est justement ces trésors que l’Earthscraper vise à mettre en valeur. Sa structure est en effet pensée pour s’intégrer aux reliefs souterrain et donc de souligner les trésors architecturaux enfouis sous la ville.

Mexico est confrontée au problème d’une tension extrême sur le foncier. Nouvelles infrastructures, programmes de logements, ensembles de bureaux et autres centres commerciaux font cruellement défaut faute de place. Explorer les sous-sols s’est donc vite imposé pour Esteban Suarez, le fondateur de BNKR. « Les lois fédérales et locales interdisent de détruire les bâtiments historiques et même si cela était possible, il est défendu de bâtir au-delà de 8 étages. Nous avons un vaste programme de centaines de milliers de mètres carrés et nulle part où l’installer. Ceci veut dire que la seule voie est d’aller en profondeur. »

Vue plongeante de l'Earthscraper

Earthscraper : une construction à la pointe de l’ingénierie

L’Earthscraper est conçu pour être « l’antagoniste du gratte-ciel ». C’est une pyramide inversée de 300m de profondeur – soit près de la hauteur de la Tour Eiffel – dont la base occuperait presque la totalité de superficie de Zolaco. La base serait recouverte d’une épaisse feuille de verre afin de permettre à la place de garder son utilisation actuelle, tout en laissant pénétrer la lumière jusqu’au fond de la structure. Pour acheminer la lumière naturelle jusqu’aux étages les plus bas de la structure, les ingénieurs ont imaginé ajouter un système de fibre optique permettant de compléter le système de puits lumineux.

La forme pyramidale n’est pas une coïncidence. S’ils étaient construits verticalement, les murs auraient tendance à céder à la pression et nécessiteraient d’énormes structures de soutien pour éviter de s’écrouler. Comme l’explique Suarez, en construisant des murs en pente, cela augmente leur capacité autoportante. Un autre sujet de préoccupation est que la capitale mexicaine est située sur une zone sismique, ce qui renforce le choix pyramidal de la structure. En effet, Suarez explique que la structure résiste aux forces latérales exercées, en particulier en cas de séisme.

La répartition des étages se ferait ainsi, de haut en bas : musée, logements, commerces, et bureaux. La toiture en verre serait conçue pour supporter toutes les manifestations culturelles ou politiques qui ont actuellement cours sur la place.

Le plus grand défi qu’auraient à relever les ingénieurs est l’eau. En effet, les 165m inférieurs de la fosse seraient au-dessous du niveau hydrostatique de Mexico et devrait donc flotter dans la boue… Un investissement très important dans la structure devrait donc être réalisé ; gonflant le cout de la structure de 30% par rapport à un gratte-ciel conventionnel – un coût par ailleurs estimé à quelques 800 millions de dollars…

La question reste en suspens : ce projet futuriste sortira-t-il – ou s’enfoncera-t-il, dans le cas présent – de terre ? En attendant que cette construction révolutionnaire voit le jour, voici une vidéo qui expose succinctement le projet :

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